Les CPP, un risque de « précarisation organisée » ?

Outre le caractère réactif de la mesure face à l’exécution des courtes peines, des acteurs du secteur social-santé dénoncent un dispositif qui précariserait certains détenus demeurant privés d’une série de droits hors des murs de la prison.

Au-delà des critiques portant sur leur côté réactif face à la crise de surpopulation, les congés pénitentiaires prolongés (CPP) sont-ils de véritables cadeaux pour les détenus ? Si on imagine aisément que purger sa peine hors de prison sonne dans un bon nombre de cas comme une bouffée d’air frais, dans d’autres cas de figure, la chose semble plus complexe.

Dans le secteur de la santé et du social, des voix commencent ainsi à s’élever pour sonner l’alerte. Kris Meurant, président de la Fidex (Fédération bruxelloise des institutions pour détenus et ex-détenus) et par ailleurs directeur du pôle psychosocial au sein de l’ASBL Transit (spécialisée dans l’accompagnement des assuétudes) n’y va pas par quatre chemins : « Tout le secteur du soutien aux détenus a toujours défendu l’idée “tout est mieux que la prison”. Mais maintenant, c’est “tout mieux que la prison, sauf les CPP”. »

Un point de vue forgé, dit-il, sur la base de plusieurs cas récemment remontés à la surface dans le secteur bruxellois : « On a eu quelqu’un qui s’est dit contraint d’être en CPP pendant sept mois jusqu’à son fond de peine (fin de la peine de prison, NDLR), ce qui n’a aucun sens en matière de réhabilitation. N’y a-t-il pas lieu, à la place, de prononcer des libérations conditionnelles qui donnent la possibilité d’ouvrir l’accès à des droits ? »

« Tout le secteur du soutien aux détenus a toujours défendu l’idée “tout est mieux que la prison”. Mais maintenant, c’est “tout mieux que la prison, sauf les CPP”.

Kris Meurant, Président de la Fédération bruxelloise des institutions pour détenus et ex-détenus

Pour rappel, un détenu – même en congé pénitentiaire prolongé – n’est éligible à aucune forme d’allocation lui permettant de se fournir un revenu puisqu’il est placé sous la responsabilité de l’administration pénitentiaire.

Kris Meurant évoque également le cas d’un détenu sous traitement lourd en prison, depuis lors dans l’impossibilité d’obtenir ses médicaments car il n’est « plus en ordre » avec sa mutuelle. « Ce qui est frustrant tant pour nous que pour lui, c’est qu’on est dans l’incapacité de faire quoi que ce soit avec lui puisqu’il n’est éligible à rien. » Et le travailleur social d’appeler à un sursaut : « A partir du moment où ces personnes sont considérées comme non dangereuses et donc admissibles aux CPP, requestionnons le sens de la peine privative de liberté pour elles. »

Choix cornélien

Dans les circulaires et directives transmises aux directions de prison, il est spécifié que tout bénéficiaire d’un CPP doit « disposer de moyens d’existence suffisants afin de ne pas se retrouver en situation de danger au cours de la mesure », mais aussi bénéficier d’un point de chute garanti.

En réalité, dans certains cas, il serait plutôt question de s’assurer que les détenus envoyés en congé disposent du strict minimum nécessaire pour être sûr « qu’ils ne meurent pas dehors », confesse ce directeur de prison estimant qu’« avec ces CPP, on organise la précarité ». Ce qui ne l’empêche pas de parler de choix aussi difficiles que nécessaires. « C’est un peu choisir entre la peste ou le choléra. Car si on les laisse en prison, on se dit que ça sera encore pire vu le contexte actuel. »

L’administration pénitentiaire, quant à elle, juge compliqué de se positionner sur des cas qui seraient selon elle non représentatifs de la majorité des CPP octroyés sur la base des garde-fous établis.

Arthur Sente pour le journal Le Soir (11/12/2024)

Les associations actives en prison soutiennent les médecins qui ont dénoncé l’impossibilité de soigner des détenus

Manque de moyens et de temps pour soigner leurs patients, glissements déontologiques, brèches dans le secret médical, tous ces éléments ont été dénoncés par le docteur Brecht Vrebrugghe. Celui-ci a envoyé un large dossier au Conseil de l’ordre dans l’espoir de faire changer les choses.

Aujourd’hui, de nombreuses associations actives dans le milieu carcéral espèrent que ce témoignage servira d’électrochoc : « Nous partageons pleinement les constats des soignants. Nous les observons chaque jour dans nos missions. Nous rencontrons des femmes et des hommes pendant leur détention, lors de leurs congés pénitentiaires, ou encore à leur sortie : tous les jours, nous sommes confronté∙es aux atteintes portées à leurs droits, à leur santé, à leur dignité ».

Les signataires de la carte blanche vont même plus loin : « Ce que nous affirmons aujourd’hui, c’est que l’organisation du système carcéral belge empêche de soigner. Et cela a des conséquences graves : sur les personnes détenues, sur les soignant∙es, mais aussi sur la société tout entière ».

Les associations ajoutent que la « case prison » pourrait même être une opportunité : « La prison est parfois le seul moment où des personnes en grande précarité entrent en contact avec des professionnels de santé : elle représente une opportunité de réaffiliation aux soins, avec un bénéfice à la fois individuel et collectif ».

Transfert du SPF Justice vers le SPF Santé

Comme le docteur Brecht Verbrugghe et d’autres médecins qui ont témoigné anonymement, les signataires de la carte blanche appellent au transfert de compétences du SPF Justice vers le SPF Santé pour, écrivent-ils, « permettre d’amorcer un changement de culture : sortir d’une logique de contrôle pour entrer dans une logique de soin ».

Ceci dit, les médecins et ces associations savent que ce transfert ne sera pas la solution unique et magique. Il faut également « des moyens humains et financiers suffisants, des formations spécifiques aux réalités carcérales, une reconnaissance du rôle des services externes, un renforcement des espaces de réflexion et des autorités de contrôle qui sont indispensables pour garantir l’éthique des soins ».

Réaction de l’administration et de la ministre

Dans un communiqué, l’administration pénitentiaire a rappelé être favorable au transfert de compétences vers le SPF Santé : « En ce qui nous concerne, cela pourrait certainement devenir rapidement une réalité ». Et d’ajouter : « Le contexte et la sécurité devront toujours être pris en compte, mais le fait que les soins médicaux et les médecins soient gérés par la Santé Publique est tout à fait cohérent ».

De son côté, la ministre de la Justice, Annelies Verlinden, a également réagi à ces témoignages de médecins. Elle précise que des discussions sont en cours avec le ministre de la Santé. Et affirme souhaiter œuvrer en faveur d’une détention humaine au cours de cette législature.

Cette carte blanche a été co-écrite par Marion Guémas de l’asbl I.Care, Lise Meunier du Réseau Hépatite C & Kris Meurant de l’asbl Transit. Et co-signée par les associations Belgique Acat, Apres, Cap-iti asbl, Féda, Fidex, la Liaison antiprohibitionniste, Médecins du Monde, La Ligue des droits humains, Infor Drogues et l’OIP, l’observatoire international des prisons.

Mélanie Joris pour la RTBF (13/05/2025 )

Prison de Haren : les associations d’aide aux détenus tirent la sonnette d’alarme concernant les conditions d’accès

La Fidex, la Fédération des institutions pour détenus et ex-détenus qui regroupe une quinzaine d’associations tire la sonnette d’alarme. Elle dénonce les conditions d’accès aux prisons dans la capitale, singulièrement à Haren où les problèmes se multiplient. Ce qui impacte lourdement l’accompagnement des détenus, notamment dans leur projet de réinsertion.

Aujourd’hui, rencontrer les détenus à la prison de Haren est devenu une gageure pour les associations d’aide aux justiciables. « C’est vrai qu’on assiste à une dégradation depuis quelques mois des conditions d’accès aux détenus » explique William Sbrugnera, psychologue au Service d’action sociale bruxellois (SASB). Régulièrement, il ne peut tout simplement pas voir les détenus qu’il suit. « Comment se fait-il qu’on nous refuse l’accès à des parloirs alors que, on les voit, ils sont libres ? L’autre possibilité qui nous est donnée en théorie est de pouvoir nous rendre dans les unités de détention. Mais pour cela, il faut une espèce de téléphone mobile spécifique et interne à la prison. Et aujourd’hui, il n’y a plus assez de ces appareils. Donc on n’est pas toujours en mesure d’intervenir non plus dans ces unités ».

Des personnes qui pourraient tout à fait être en libération conditionnelle aujourd’hui restent derrière les barreaux.

Tout cela n’est évidemment pas sans conséquence. « Je vous donne un exemple : je mets quatre personnes sur ma liste pour une matinée et j’attends 2 heures et finalement je n’en vois qu’un. Bah les trois autres il faut les revoir la semaine d’après ou dans les deux semaines qui suivent. Il suffit qu’il y ait encore une fois un blocage ou un problème d’accès aux unités de détention ou au parloir. De nouveau, ça repousse les échéances et on se retrouve parfois dans des situations où je ne vois pas certains détenus pendant deux, trois, quatre mois. Donc oui, ça a un impact énorme, effectivement, sur les prises en charge et sur les détenus, sur leurs conditions. Un détenu qui veut proposer un projet de libération conditionnelle devant le tribunal d’application des peines doit avoir un logement, doit avoir une occupation, une source de revenus. Ça, ce sont les assistants sociaux qui font un travail titanesque pour essayer de mettre tout ça en ordre. Et eux aussi sont complètement empêchés ou retardés dans leur travail, ce qui fait que ça repousse les échéances. Des personnes qui pourraient tout à fait être en libération conditionnelle aujourd’hui restent encore derrière les barreaux » s’indigne William Sbrugnera.

Surpopulation carcérale

Pas étonnant dès lors que le baromètre de la Fidex qui tente d’objectiver et de signaler les dysfonctionnements dans les prisons bruxelloises, soit dans le rouge pour Haren. « Malheureusement, cette couleur ne cesse d’aller dans le mauvais sens » regrette Kris Meurant, président de la Fidex. « L’accessibilité des équipes qui viennent en aide aux personnes privées de liberté est moindre, pas suffisante voire empêchée. On comprend qu’avec le problème de surpopulation, le quotidien des directions et des agents est réellement compliqué. Par contre, on dénonce des décisions politiques de ces dernières législatures qui ont comme conséquence l’explosion du plafond de verre et 13.000 détenus pour les prisons en Belgique. C’est une catastrophe. Le problème général structurel avec cette décision politique du « tout à la prison » rajoute de la complexité au quotidien en termes de gestion du personnel. En prison, s’il y avait moitié moins de détenus, je pense que le quotidien de chacun des détenus en premier serait nettement plus vivable et les associations au quotidien pourraient mener à bien leur travail ».

Pour la Fidex, il est urgent que la Belgique réoriente sa politique pénitentiaire pour assurer aux détenus des conditions dignes et propices à la réinsertion.

Pierre Vandenbulcke pour la RTBF (06/04/2025)

« Laissez-nous entrer dans la prison de Saint-Gilles : on veut juste faire notre boulot ! »

Les services externes manifesteront ce jeudi devant la prison de Saint-Gilles, surpeuplée, à laquelle ils n’ont plus qu’un accès très limité.

« Laissez-nous entrer dans la prison de Saint-Gilles ! ». C’est le cri que lanceront ce jeudi les organisations membres de la Fédération bruxelloise des institutions pour détenus et ex-détenus (Fidex) qui se réuniront à 9 heures devant les portes de l’établissement pénitentiaire bruxellois. Les services externes, qui assurent des missions d’aide psychosociale, de promotion de la santé, de continuité de soins, de cours, de formation professionnelle… réclament juste aux autorités fédérales de « pouvoir travailler ».

Depuis près de deux semaines, l’accès de ces services à la maison d’arrêt bruxelloise est drastiquement limité en raison de la surpopulation carcérale que connaît Saint-Gilles. Loin d’être neuve, la situation, endémique, perdure depuis plusieurs mois. Mais elle se dégrade encore. C’est vrai aussi dans la prison voisine, pour femmes, de Berkendael, observe la Fidex.

En décembre dernier, la Fidex alertait déjà sur les difficultés rencontrées par les services (mandatés par les Communautés et les Régions) pour remplir leurs missions auprès des personnes détenues. Leur travail est encadré par des accords de coopération conclus entre l’État fédéral et les entités fédérées compétentes. En application de ceux-ci, l’accès aux établissements pénitentiaires doit leur être garanti, y compris « dans des situations d’urgence et de crise, lors de grèves et de mouvements sociaux »,comme le précise l’accord entre l’État fédéral, la Communauté française et la Région wallonne.

914 détenus pour 840 places

À Saint-Gilles, on a poussé (un peu artificiellement) les murs de la maison d’arrêt au départ prévue pour 509 détenus pour atteindre une capacité de 840 places, mais sans ouvrir de nouvelles cellules. Malgré cela, début février, on dénombrait 886 détenus. Ce mercredi, ils sont… 914, nous précise l’administration pénitentiaire.

Il faut savoir qu’au sein de la prison, dès que le nombre de détenus grimpe au-dessus de 850, les syndicats d’agents pénitentiaires bloquent et menacent de se mettre en grève.
Résultat : depuis le 15 juin, il n’y a plus que… 5 travailleurs sociaux des services externes qui peuvent accéder à la prison par demi-journée alors que les besoins d’accompagnement des détenus sont énormes. Autre souci : les entretiens doivent se tenir dans ce qu’on appelle le « couloir social » qui ne garantit en rien la confidentialité des échanges.

Une nouvelle détérioration des droits des détenus

« Les difficiles conditions de travail en prison ne peuvent pas être compensées par une nouvelle détérioration de l’exercice des droits des personnes détenues », proteste Kris Meurant, président de la Fidex. Les membres de la Fidex ne contestent pas que les directions et les agents de surveillance pénitentiaire sont confrontés à de grosses difficultés, mais cette « solution » est une mauvaise réponse face à la surpopulation, insiste la Fédération.« Nous rappelons que cette situation est au quotidien au moins aussi pénible pour les détenus ». Ceux-ci se voient injustement privés d’une aide à laquelle ils ont à la fois droit et grand besoin. La loi de principes de 2005 dispose en effet qu’« il convient d’empêcher les effets préjudiciables évitables de la détention » et que les personnes détenues ont droit à une aide psycho-sociale, que fournissent précisément les services externes.

La Fidex appelle donc les autorités à revenir sur leur décision et à autoriser les services externes à accéder aux détenus et aux ailes de la prison, sans limitation.

Annick Hovine pour La Libre Belgique (29/06/2022)